Syrie : dans le camp d’Al-Hol, le djihadisme prospère sur la misère
Syrie : dans le camp d’Al-Hol, le djihadisme prospère sur la misère

Syrie : dans le camp d’Al-Hol, le djihadisme prospère sur la misère

Au bout d’une piste sableuse, au creux d’une plaine désertique éraflée par le soleil, les tentes jaunies par la poussière du camp syrien d’Al-Hol s’étalent à perte de vue entre les grillages de barbelés. C’est dans cette prison à ciel ouvert, située à quelques dizaines de kilomètres de la frontière irakienne, que près de 42 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, sont enfermées depuis la chute du groupe État islamique à Baghouz, en 2019.

Initialement ouvert en 2016 pour accueillir des réfugiés irakiens, le camp abrite aujourd’hui des milliers de familles accusées, parfois sans preuves, d’être des proches de djihadistes qui se sont mêlés aux déplacés des bombardements de la coalition internationale. Sans perspective de jugement ni de rapatriement, toutes et tous vivent depuis près de cinq ans dans des conditions chaque jour plus difficiles, à mesure que le niveau de radicalisation dans le camp augmente et que les ressources économiques s’affaissent.

Manque de nourriture

Chaque jour, l’allée centrale d’Al-Hol bourdonne des centaines de silhouettes indiscernables dans leurs abayas et leurs niqabs venues tenter de se ravitailler sur les étals maigrement pourvus du marché. Des tomates cabossées côtoient quelques paniers d’oranges, tandis que la chaleur déjà étouffante de la fin de matinée aggrave l’odeur aigre qui s’échappe des seaux de fromage sur le point de tourner. « Je suis veuve, je n’ai pas d’argent pour nourrir mes enfants, je suis obligée de vendre les paniers repas donnés par les ONG pour acheter ce dont j’ai besoin », lance soudain une femme à la voix rauque et aux yeux voilés.

« Nous, les femmes, nous sommes enfermées ici, nous avons faim. Quand cela va-t-il s’arrêter ? »

Elle s’appelle Fatima Al-Hariri (1) et, jouant des coudes au milieu des ombres noires, elle tient à témoigner de l’aggravation de la situation : « Nos tentes sont vieilles et usées, nous avons trop chaud, et l’aide humanitaire ne cesse de diminuer depuis plusieurs mois », poursuit-elle en criant presque, avant de lâcher : « Je viens d’Irak, de la ville de Al-Qaim. Cela fait bientôt cinq ans que je n’ai aucune nouvelle de mon mari prisonnier. Est-il seulement vivant ? Nous, les femmes, nous sommes enfermées ici, nous avons faim. Quand cela va-t-il s’arrêter ? »

Syrie : dans le camp d’Al-Hol, le djihadisme prospère sur la misère

Comme un écho à ces paroles désespérées, Cîhan Henan, la co-gérante du camp administré par les forces prokurdes aux commandes dans la région autonome du Nord-Est syrien (Aanes), atteste de l’évolution dramatique de la situation : « Tous les services du camp sont fournis par des ONG, mais depuis la guerre en Ukraine et l’offensive à Gaza, les fonds ne nous parviennent plus et nous n’avons pas d’autres choix pour les remplacer », expose-t-elle d’une voix réservée.

Car outre l’impact sur la distribution de nourriture, ce sont également les services médicaux qui sont affectés : « Avant, nous avions des ambulances mises à disposition par le Croissant-Rouge, ce qui nous permettait de faire face aux urgences de santé, mais ce service aussi a disparu. Par exemple, nous n’avons plus de solution pour traiter les crises cardiaques, ou bien les cas graves de cancer », détaille-t-elle depuis son bureau situé à l’entrée du camp, attentivement surveillé par les forces de sécurité.

« Incendies et assassinats »

En plus des maladies, le personnel médical est confronté à des cas d’agressions qui peuvent nécessiter des soins importants. De fait, confirme Cîhan Henan, « cela fait plusieurs mois que l’on note une augmentation de la radicalisation », un phénomène qui se traduit d’après elle par une multiplication « des incendies et des assassinats ». C’est que, faute de moyens suffisants, des cellules de l’organisation État islamique continuent de prospérer dans le camp, au point qu’une zone entière appelée « l’Annexe », abritant près de 6 500 ressortissants étrangers, est désormais inaccessible à la fois pour l’administration et les ONG.

« Nous sommes très inquiets, car nous n’avons plus de liens avec ces quartiers, les radicalisés nous en barrent l’accès, lancent des cailloux sur ceux qui tentent d’approcher et font des manifestations même la nuit », s’alarme Cîhan Henan en désignant la partie orientale du camp sur une carte accrochée au mur.

Seules à pouvoir y pénétrer, les Forces démocratiques syriennes (FDS) – la branche militaire de l’administration autonome – y lancent parfois des assauts afin de procéder à des arrestations et des saisies. Ainsi, le 27 janvier dernier, une opération de grande envergure a permis la capture de 37 djihadistes, la confiscation d’armes et de ceintures d’explosifs ainsi que la destruction de nombreux tunnels permettant de les dissimuler au sein même du camp. Mais si les plus fondamentalistes se regroupent dans l’Annexe, l’influence salafiste s’étend en réalité à tout le camp, et surtout aux enfants qui, pour certains, n’ont rien connu d’autre que ces quelques allées arides et pelées.

Près de 70 % de la population du camp a moins de 15 ans et n’a quasiment pas accès à l’éducation. Au détour d’une charrette accidentée où se répandent des fruits tachés, Nazima Daif (1) agite ses mains gantées de noir. « Regardez là-bas, c’est mon fils, il a 14 ans. » Quelques mètres plus loin, un profil adolescent aux cheveux coupés court, si visibles parmi tant de voiles sombres, se détache dans la foule. « Il risque d’être arrêté bientôt par la police car il a de très mauvaises fréquentations, confesse Nazima. Ses amis, ce sont des gens de Daesh. » Une génération entière d’enfants devenus des adultes radicalisés risque ainsi de voir le jour si rien n’est fait.

Les règles édictées par Daesh

C’est que, volontairement ou non, tout le camp est concerné par les règles de Daesh. Des brigades informelles de femmes patrouillent entre les tentes afin de vérifier la correcte application de la charia, des taxes sont prélevées parmi les habitants au nom de la zakat, l’impôt islamique extorqué de force par les membres de Daesh, et des juges ordonnent des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à l’exécution.

Sous une tente dépouillée, assis en tailleur au bord d’un matelas élimé posé à même le sol, Hussam Al-Qadim (1) regarde deux de ses enfants jouer contre la toile brûlante de l’abri. « Ici, nous sommes dans la zone de sécurité. C’est un espace protégé dans le camp pour ceux qui, comme nous, sont menacés par Daesh », explique-t-il en faisant glisser un peu de terre entre ses doigts tachés par un vitiligo.

Syrie : dans le camp d’Al-Hol, le djihadisme prospère sur la misère

Arrivés en 2017 dans le camp après avoir fui la région de Deir Ez-Zor alors tombée aux mains de Daesh, Hussam décide de s’engager dans les rangs des FDS. « Je vivais une vie normale, j’avais un poste militaire, et à l’époque le camp n’était pas encore fermé, je pouvais aller dans les grandes villes, à Kamechliyé, ou à Hassaké », poursuit-il, avant de s’assombrir. « Mais après l’arrivée des familles de Daesh, j’ai été accusé d’être un infidèle, un espion des forces de sécurité, et ils m’ont menacé de me torturer et de me tuer. » En 2021, une étude menée par l’Organisation mondiale de la santé plaçait déjà les meurtres en tête des causes de mortalité dans le camp.

« Trois de mes enfants sont nés dans le camp, mais nous avons à peine de quoi les nourrir »

Après avoir fait l’objet d’une investigation visant à vérifier la réalité des menaces, Hussam et sa famille ont été déplacés dans la zone de sécurité, où la sûreté se paye au prix de conditions de vie encore dégradées. « Nous sommes totalement isolés, je n’ai plus de métier, plus de revenus et nous ne pouvons aller au marché, escortés, que deux fois par semaine. » Dans un geste, il désigne ce qu’il lui reste de possessions : quelques casseroles et un réchaud.

« Trois de mes enfants sont nés dans le camp, mais nous avons à peine de quoi les nourrir. Cela fait des mois que nous n’avons pas mangé de viande », souffle-t-il en se tournant doucement vers la droite. À côté de lui, sa femme, le regard abîmé, repose son ventre rond de quelques mois de grossesse contre ses jambes repliées.

Tous supposés coupables

À Al-Hol, les suspects comme les menacés n’ont que de très faibles chances de pouvoir sortir de cette zone de non-droit où leur avenir semble complètement figé. Faute de moyens nécessaires à la mise en place d’investigations devant permettre d’évaluer leur degré d’implication au sein de Daesh, toutes et tous restent supposés coupables.

« Que l’on soit réellement de Daesh ou pas, vivre dans ce camp est un crime aux yeux du monde. »

L’administration kurde tente bien de mettre en place des procédures de rapatriement en coopérant avec les pays d’origine des détenus : en avril dernier, par exemple, près de 750 personnes ont pu retourner en Irak malgré l’hostilité des populations toujours traumatisées par les exactions de l’organisation État islamique. Mais alors que le camp abrite plus de 45 nationalités différentes, la plupart des pays occidentaux continuent de refuser de faire rentrer leurs ressortissants, paralysant ainsi la situation pour une durée indéterminée à ce jour.

Et plus le temps passe, plus le fait de se trouver entre les barbelés d’Al-Hol se transforme en stigmate. Alors que le soleil monte vers son zénith, Khaled Hawas se fond dans l’ombre de sa petite échoppe de yaourt. Originaire de Salaheddin, en Irak, il jure n’avoir jamais été lié aux djihadistes. Il se tient droit dans son qamis blanc. Et entre les fils blancs de sa barbe, il résume les a priori qui régissent les ruelles affaissées d’Al-Hol : « Ici, tout est objet de rumeurs ou de fausses accusations. Mais que l’on soit réellement de Daesh ou pas, vivre dans ce camp est un crime aux yeux du monde. »

(1) Les noms ont été modifiés.

vercel-villedieu-le-camp.fr est une plateforme numérique qui compile divers communiqués publiés sur internet dont le sujet de prédilection est « Vercel-Villedieu-le-Camp ». Vous pouvez tirer profit de ce papier traitant le sujet « Vercel-Villedieu-le-Camp ». Il est sélectionné par l’équipe vercel-villedieu-le-camp.fr. La chronique a été générée du mieux possible. Vous avez la possibilité d’écrire en utilisant les coordonnées indiquées sur notre site web dans le but d’indiquer des explications sur ce post qui parle du thème « Vercel-Villedieu-le-Camp ». En consultant de temps en temps nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.